ASSEMBLEE
EPISCOPALE DE LA PROVINCE ECCLESISATIQUE DE LUBUMBASHI
(ASSEPL)
PLEURONS
AVEC CEUX QUI PLEURENT
(Cf. Rm 12,15b)
Lettre Pastorale des Evêques de l’Assemblée
Episcopale de la Province Ecclésiastique de Lubumbashi
aux fidèles catholiques et aux hommes de bonne
volonté
Editions du Secrétariat de l’ASSEPL
Février 2014
0. Préambule
Réunis
en Assemblée statutaire à Lubumbashi du 10 au 13 février 2014, nous Archevêque
et Evêques de la Province Ecclésiastique de Lubumbashi, au Katanga, après avoir
fait le point sur la situation socio pastorale de nos huit diocèses, lançons un cri de détresse en faveur des
populations du Katanga, face aux drames dont elles sont victimes. En hommes de
Paix, nous invitons les gouvernants de notre pays, les responsables des Nations
Unies présents sur le territoire national et les hommes de bonne volonté à
travailler pour que prenne fin cette tragédie : « Pleurez avec ceux qui pleurent » (Rm 12, 15b).
1. Respectons la
dignité de la personne humaine
Nous
rappelons à ce sujet l’enseignement de notre foi sur la dignité de la personne
humaine. Ceux qui par la foi et le baptême appartiennent au Christ doivent
confesser leur foi baptismale devant les hommes (cf. Mt 10,32 ; Rm 10,9).
C’est ce devoir de notre foi qui nous pousse en ce moment de l’histoire de
notre pays, et particulièrement de notre Province, à rappeler la valeur inviolable de la vie de l’homme, tout en dénonçant
ce qui porte atteinte au caractère sacré de la dignité de la personne humaine
qui s’enracine dans sa création à l’image et à la ressemblance de Dieu (cf. Catéchisme de l’Eglise Catholique, n°1700). Suivant cet
enseignement, cette dignité s’accomplit dans sa vocation à la béatitude divine.
Malheureusement, cette vocation à la béatitude est souvent contrariée par des
situations antagonistes qui jalonnent la
vie des hommes. Ces derniers temps, les populations du Katanga en font la
douloureuse expérience sous diverses formes.
2. Une triple
insécurité blesse la dignité de l’homme au Katanga
2.1. Insécurité
sociopolitique
Depuis
l’évasion en septembre 2011 de la prison de la Kasapa à Lubumbashi du seigneur
de guerre KYUNGU MUTANDA alias « Gédéon », plusieurs zones de la Province
du Katanga sont rentrées dans un cycle d’insécurité et de violence qui sème la mort
parmi les paisibles citoyens et jette des milliers d’autres sur le chemin de
l’errance. La revendication de l’ «indépendance » du Katanga, comme
le clame l’expression « Bakata Katanga », est le prétexte généralement
évoqué pour justifier un tel déchaînement de la violence. A cette étape de la
démocratie dans notre pays, il existe, pourtant, des voies démocratiques pour exprimer
noblement ses frustrations et ses aspirations. Au nom de cette cause, de nombreux jeunes,
dont plusieurs mineurs, sont enrôlés de force et amenés à tuer leurs propres
compatriotes. Continuellement drogués et soumis aux pratiques magico-religieuses,
ils sont armés de fusils d’assaut et d’armes blanches. On leur promet un
bonheur inespéré pour les motiver. Ils volent, pillent, violent, torturent, enlèvent et incendient sans
distinction et sans aucun état d’âme. Les agents de l’Etat sont leurs
principales cibles mais ils n’épargnent pas les chefs coutumiers et les civiles
sans défense. Les Mai Mai LBakata Katanga ont érigé des sanctuaires dans plusieurs
territoires de notre Province. Leurs incursions sanguinaires créent une
psychose au sein du peuple et l’image du Katanga en est ternie. Nous disons
haut et fort que nos populations ne sont pas une chair à canon.
2.2.
Insécurité socio-économique
En
plus de violations graves des droits humains, l’insécurité sociopolitique affecte
le tissu économique de notre Province et amplifie la misère au sein de notre
population. Les déplacés de guerre, qu’on compte par milliers, sont pour la
plupart sans assistance humanitaire. On enregistre parmi eux un taux fort élevé
de mortalité et de maladies. Vulnérables, les petits enfants, les femmes et les
vieillards figurent parmi les premiers concernés et meurent en masse, sans
soins appropriés, dans le plus grand dénuement. Quant aux jeunes en âge de
scolarité, certains sont condamnés à ne pas étudier et d’autres se livrent à
l’exploitation artisanale des minerais.
Eu
égard à l’insécurité socioéconomique, comment peut-on tolérer que nos propres élus
se soient autorisés à se tailler des salaires « pharaoniques » - dont
ils seraient toujours encore insatisfaits – en laissant leur base électorale ainsi
que les forces de l’ordre avec des salaires de misère !? Que l’on applique la tension salariale partant
du plus haut fonctionnaire de l’Etat jusqu’au huissier.
La
bancarisation est une excellente initiative qui permet de contenir l’effectif
réel des salariés de l’Etat et facilite à chaque agent de toucher à temps son
vrai salaire. Cependant, depuis son application, nous en constatons les limites.
Car dans cet immense pays qu’est la RDCongo, certains salariés doivent
parcourir plus de cent kilomètres pour toucher leur maigre salaire, laissant
ainsi vide pendant plusieurs jours leur poste de travail.
Quant
aux célèbres contrats chinois, ils sont basés, surtout, sur l’exploitation
minière au Katanga. Il va de soi que les populations de cette Province en
soient bénéficiaires.
2.3
Insécurité environnementale et sanitaire
Pour
le moment, le développement et la
démocratie que réclame notre peuple, c’est aussi un environnement sain. A
travers la Commission Episcopale des Ressources Naturelles (CERN), l’Eglise
Catholique de la RD Congo s’est engagée, depuis 2007, dans le plaidoyer en
faveur d’une exploitation des ressources qui profite aux populations locales et
au pays. Cet engagement se justifie par le paradoxe qui se vit entre
l’abondance des richesses issues de cette exploitation et la pauvreté criante
de la population congolaise. La répartition de tout le pays en carrés
potentiellement vendables, le problème de la radioactivité, la pollution des
cours d’eau, et de l’environnement, nous mettent en présence d’une gestion de
l’exploitation des ressources naturelles ne tenant pas compte du respect de la
dignité humaine, de l’équilibre homme/environnement, de la bonne gouvernance et
du développement intégral de tout homme et de tout l’homme. La santé de
plusieurs travailleurs de sociétés d’exploitation minière reste hypothéquée. Les cas ne se comptent plus au Katanga
d’hommes frappés de stérilité et d’enfants qui naissent avec des malformations
corporelles graves à cause de la radioactivité. Nous rappelons que la santé
n’a pas de prix et il est un devoir citoyen d’œuvrer pour un environnement
sain.
3. Notre ministère
prophétique nous presse
Vu
l’ampleur du drame imposé à notre
peuple, tel qu’exprimé dans cette triple insécurité qui constitue un cauchemar
pour les populations du Katanga, aujourd’hui :
3.1 Nous
dénonçons :
-
la main noire qui manipule des jeunes gens transformés en tueurs impitoyables.
Ceux qui les instrumentalisent doivent savoir qu’ils violent les droits de la personne
humaine et commettent des crimes contre l’humanité passibles de jugement à
la Cour Pénale Internationale;
-l’attentisme
du Gouvernement Central. Celui-ci, en effet, devrait se préoccuper davantage de
la souffrance si atroce des populations sinistrées. Qu’il prenne en compte les
revendications légitimes des populations;
-
l’approvisionnement en armes et munitions, dont bénéficient les miliciens, manipulés
par d’obscurs personnages.
3.2
Nous déplorons :
-
qu’une jeunesse si dynamique soit entraînée par des gens mal intentionnés et se
livre à une aventure si funeste ;
-
les incursions des Mai-Mai Bakata Katanga en pleine ville de Lubumbashi et dans
d’autres localités de la Province ;
- le laisser-faire
de l’exploitation minière artisanale où les forces vives du pays sont exposées
à des matières radioactives et à l’épuisement précoce de leur vigueur juvénile,
pendant que leurs conditions de vie restent précaires.
3.3 Nous recommandons :
* Aux Gouvernants :
-
de
rendre publics les résultats de l’enquête sur l’évasion du seigneur de guerre
Kyungu Mutanda alias Gédéon de la prison de Kasapa le 7 septembre 2011;
-
de
lancer la procédure pour déférer à des juridictions internationales les sieurs Kyungu
Mutanda alias Gédéon et Ferdinand Ntanda Imene ainsi que leurs complices ;
-
de
mettre fin aux conflits armés dans notre Province ;
-
de
secourir de manière efficace les sinistrés.
*A la MONUSCO :
-
de
prêter main forte aux FARDC, comme elle le fait ailleurs, afin de neutraliser
les miliciens et d’instaurer une paix durable sur l’ensemble de la Province du
Katanga ;
-
de
favoriser l’organisation de secours aux sinistrés dans la Province.
* Aux Mai-Mai Bakata
Katanga :
-
de
déposer les armes et de cesser de tuer leurs propres frères et sœurs ;
-
de
réintégrer la vie sociale et de contribuer au développement de la Province.
* Aux Acteurs politiques du Katanga
-
de
soutenir l’élan dynamique du développement de leur Province ;
-
de
privilégier le dialogue dans la vérité pour régler les différends entre eux ;
-
de
prendre à cœur le développement du Katanga et de sa population.
4. Exhortation
finale
Il
convient de comprendre que la situation dramatique actuelle du Katanga a
plusieurs raisons parmi lesquelles nous citons : la faiblesse de
l’autorité de l’Etat, la mauvaise répartition de la richesse, le déséquilibre
économique entre milieux urbains et milieux ruraux, la frustration, l’impunité,
etc. Que les responsables à tous les niveaux s’appliquent à y trouver des
solutions effectives. Ne perdons pas l’espérance. Le Seigneur est avec nous. Prions
afin que la Vierge Marie, Notre Dame de la Paix, nos Bienheureux Marie-Clémentine
Anuarite et Isidore Bakanja, qui ont versé leur sang dans ce pays, intercèdent pour notre beau et cher pays la RD Congo et pour notre Province
du Katanga.
Fait
à Lubumbashi, le 13 février 2014
Les Evêques de la Province Ecclésiastique de Lubumbashi :